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Saint-Bernard, l'art cistercien



L'art cistercien

1 - Éclat

Introduction

Vers 1124, Saint Bernard produit un livre consacré à la décoration des églises. Cet ouvrage ne rencontre aucun retentissement immédiat. C'est seulement lors de la reconstruction de Clairvaux et de l'édiction de règles sur l'art sacré par le chapitre général de Cîteaux qu'apparaît un véritable tournant dans l'art religieux. Pour comprendre cette évolution, il convient de se pencher sur la conception de l'oeuvre d'art au XIIe siècle. L'oeuvre d'art est une parure de cérémonie destinée à glorifier Dieu. Elle est une offrande appelant la protection divine. Elle est enfin, par sa lumière, sa richesse, un pont jeté d'un monde à l'autre. Ainsi l'artiste habile participe-t-il au salut du groupe tout entier.

Origine des richesses monastiques

L'oeuvre d'art n'est pas indépendante de son mode de production. Elle est à la croisée entre le spirituel et l'économique. La venue de l'art cistercien est précédée d'une période de forte croissance agricole. Les fruits de cette croissance sont distribués en fonction de la place occupée par chaque ordre dans le système féodal. Le seigneur accapare les résultats du labeur des plus pauvres. Il assume en échange une mission de guerre sainte, salutaire pour l'ensemble du groupe.
L'église profite également de l'accumulation des richesses. Celle-ci se retrouve dans les oeuvres d'art. Au début du XIIe siècle, l'art monastique l'emporte sur l'art des cathédrales. La mainmise des seigneurs sur les évêchés a détourné les dons des fidèles vers les monastères, qui bénéficient pour l'instant d'une meilleure réputation. En effet, si les monastères sont également utilisés par les puissants, ils le sont d'une manière toute différente. La création d'un monastère par un puissant peut correspondre à une volonté de rachat (c'est le cas de Guillaume de Normandie, avec le fondation de l'Abbaye aux Hommes de Caen). Dans le même but, les seigneurs offrent aux abbayes des reliques. Ils y mettent leurs tombeaux. Ces offrandes, ajoutées à celles des fidèles, constituent des revenus importants, en grande partie utilisés pour la décoration des églises.

 

Que chacun suive sa propre opinion. Pour moi, je le déclare, ce qui m'a paru juste avant tout, c'est que tout ce qu'il y a de plus précieux doit servir d'abord à la célébration de la sainte eucharistie. Si, selon la parole de Dieu, selon l'ordonnance des prophètes, les coupes d'or, les fioles d'or, les petits mortiers d'or devaient servir à recueillir le sang des boucs, des veaux et d'une génisse rouge, combien davantage, pour recevoir le sang de Jésus Christ, convient-il de disposer les vases d'or, les pierres précieuses, et tout ce que l'on tient pour précieux dans la création. Ceux qui nous critiquent objectent qu'il suffit, pour cette célébration, d'une âme sainte, d'un esprit pur, d'une intention de foi. Je l'admets : c'est bien cela qui importe avant tout. Mais j'affirme aussi que l'on doit servir par les ornements extérieurs des vases sacrés, et plus qu'en toute autre chose dans le saint sacrifice, en toute pureté intérieure, en toute noblesse extérieure”.
Suger, De la consécration

 

Justification de l'utilisation de ces richesses

La société du Haut Moyen Age connaît peu de réelles indigences en dehors de courtes périodes de famine. Le reste du temps, les pauvres reçoivent une aide. Mais cette fonction de solidarité connaît une profonde décadence au cours des X-XIe siècles. Depuis Benoît d'Aniane, les monastères ne donnent plus qu'un dixième de leurs ressources à leurs hôtes, parmi lesquels on trouve très peu de vrais pauvres. L'exercice de la charité prend l'aspect de cérémonies annuelles où les moines lavent les pieds à des pauvres professionnels.
La haute dignité qu'occupe le moine semble justifier son extraordinaire aisance matérielle. L'humilité est comprise comme une soumission au sort. Si celui-ci est favorable, il n'y a pas de raison de ne pas s'y soumettre également. Quand au travail manuel, il est rejeté comme indigne. L'obligation de travailler qui figure dans la règle bénédictine est entendue comme un rejet de l'oisiveté. Or, il est fort possible de ne pas être oisif sans pour autant travailler de ses mains.

La richesse des œuvres d'art - permise par l'absence de véritables dons aux pauvres - est un autre élément de la dignité des moines. Ceux-ci sont moins sensibles à l'Évangile qu'au souvenir de la fastueuse époque carolingienne, qui mêlait les monastères aux cérémonies royales. La gloire personnelle des gens d'église dépend de la splendeur des offices qu'ils donnent. Ils trouvent d'ailleurs un appui dans l'Apocalypse : la Jérusalem céleste n'est-elle pas décrite comme une ville ruisselante de lumières, d'or et de pierreries ? L'oeuvre d'art est de toute façon considérée comme utile à toute la société, puisqu'elle est une offrande salvatrice. Il n'est donc pas vain d'employer tous les moyens pour embellir les églises. Les moines profitent ainsi des progrès accomplis pour les besoins de la guerre dans le domaine de l'outillement architectural. Suger, surtout, met en avant une nouvelle parure, le vitrail.

1134 : un tournant

Le début du XIe siècle est un tournant à plusieurs égards. D'une part, on observe à ce moment une résurgence de la monarchie par rapport aux autres puissances féodales. Celle-ci s'accompagne d'un reflux du pouvoir vers les évêques, au détriment des monastères. Les mentalités se transforment. On voit l'émergence d'un désir de lucidité, d'une envie de changer de cadre de foi. C'est dans ce cadre que va s'inscrire la réforme cistercienne.

 


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